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Clarksdale, la renaissance du berceau du blues

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Clarksdale s'attache à perpétuer l'héritage du blues à travers son marketing touristique. © Simon Lambert/HAYTHAM-REA/Comptoir des Voyages

Par Alexandre Ravasi

19 juin 2025

Après un demi-siècle d’assoupissement, Clarksdale renaît de ses cendres. L’ouverture de musées et de clubs, sans oublier l’organisation de festivals, ont dopé l’attractivité de cette ville du nord du Mississippi, qui a vu passer les plus grands noms du blues. Dans le sillage de Nashville et la Nouvelle-Orléans, elle a fait de la musique la pierre angulaire de sa promotion touristique. Au risque de perdre son authenticité ? 

Silencieuse, sans âme, alanguie, banale… Les quelques journalistes français qui ont mis le pied à Clarksdale dans les années 2010 dressaient le même constat. « Ce n’était qu’un petit bled au milieu de l’État le plus pauvre du pays ! », abonde Gerard Herzhaft, historien et musicologue, qui fut l'un des premiers Européens à s'y rendre au cours d'un voyage aux États-Unis dans les années 1960.

Dans les pas de B.B King

Difficile de croire que c’est dans les ruelles de cette bourgade anonyme de 13 000 âmes, au milieu des plaines désolées de la région du Delta, que le blues serait né au début du XXe siècle. « C'est avec la guerre de 1917 que les travailleurs pauvres du Sud Mississippi ont commencé à migrer vers le Nord, explique Gérard Herzhaft, auteur d’une passionnante Encyclopédie du blues (1979). Cela coïncide avec l’apparition de la première génération de musiciens blues. »

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Lieu emblématique de la ville, le Red's est l'un des clubs les plus convoités par les amateurs de blues. © Simon Lambert/HAYTHAM-REA/Comptoir des Voyages

John Lee Hooker, Willie Brown, Sam Cooke... Nombre d'entre eux ont vu le jour à Clarksdale. D’autres, comme Muddy Waters ou Robert Johnson, y ont vécu à une époque où sévissait une forte ségrégation raciale. « Au-delà de son aspect récréatif, la musique avait un effet cathartique pour les Noirs exploités dans les plantations, observe Gérard Herzhaft. Pourtant, le blues sera ensuite associé à la débauche et l'immoralité, au point d'être ignoré pendant des décennies par la communauté noire. »

Le tourisme pour entretenir la mémoire

Il faudra attendre la création du Sunflower Festival, en 1988, pour qu'il bénéficie d'un regain d'intérêt. Et Clarksdale avec. Longtemps réservé aux amateurs du genre, l'événement réunit désormais plus de 30 000 personnes en août dans les rues du Downtown. Associé au Juke Joint Festival, qui met aussi à l'honneur les plus grands noms du blues, le Sunflower a donné un « véritable coup de fouet à la ville », selon Claude Chastagner, spécialiste des musiques populaires américaines.

Le blues, aux origines de la musique actuelle
Le blues du Delta possède une rythmique singulière, aux origines africaines, dont l'influence sur la musique du XXe siècle est incommensurable. « La répétition d'un seul accord, qui donne un effet à la fois monotone et hypnotique, a notamment été source d'inspiration pour la musique techno », précise l'universitaire Claude Chastagner. « Les stars du rock britannique des années 1960, comme Keith Richards et Eric Clapton, ont aussi revendiqué l'héritage des grands bluesmen », confirme Steven Jezo-Vannier, spécialiste rock et contre-culture.

Ces dernières années, l'Office de tourisme de Clarksdale a décidé d'orienter sa promotion autour du blues. Résultat : la ville attire désormais des visiteurs toute l'année. « Certaines cabanes de travailleurs noirs ont été transformées en hébergements confortables pour touristes blancs », commente Claude Chastagner, également professeur émérite à l'université de Montpellier. Un parcours balisé, la « Blues Alley », permet de suivre les traces des légendes du blues. Il trouve son apogée à l'ancien dépôt de chemin de fer, où l'on commémore les nombreux musiciens partis se produire à Memphis et Chicago.

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Les chambres de l'hôtel Shack Up Inn sont situées dans des cabanons de tôles ou de planches qui donnent sur les champs de coton © Simon Lambert/HAYTHAM-REA/Comptoir des Voyages

Revitalisation ou artificialisation ?

Clarksdale s'inscrit ainsi dans les pas de Nashville, qui a transformé la musique country en produit marketing. Même chose pour la Nouvelle-Orléans et son intense exploitation commerciale du jazz. Avec le risque de prendre le même chemin que ces deux villes, accusées d'entretenir leur héritage musical de façon artificielle. « Les musiciens jouent les mêmes morceaux en boucle pour plaire aux touristes blancs, principalement américains. Ce n’est pas très vivant », dénonce Claude Chastagner.

Dans son article Delta blues, de Charlie Patton à Deltaland, Gérard Herzhaft préfère tempérer ce constat. « Soyons clair : c'était ça ou la disparition définitive du genre. Les musiciens se sont organisés et ont obtenu de recevoir une part des bénéfices. Ce phénomène a aussi engendré des engagements pour des bluesmen qui n'avaient aucune possibilité d'exercer leur art en étant véritablement payés. » Et de conclure : « Autrefois rejeté, le blues est désormais reconnu comme faisant partie intégrante de la culture sudiste.»

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À voir, à faire à Clarksdale 

  • Crossroads (599 N State Street) : À l'intersection des Highways 61 et 49, ce carrefour en apparence banal est devenu une étape incontournable d'un voyage sur la route du blues. C’est en effet là qu'à la fin des années 1920, le musicien Tommy Johnson aurait vendu son âme au diable en échange de son talent de guitariste. 
  • The Red’s (398 Sunflower Avenue) : Ouverte dans les années 1960, cette rade minimaliste est restée dans son jus. De quoi s’imprégner de l’ambiance typique des juke joints, ces tavernes clandestines où les Afro-américains se réunissaient pour jouer du blues en toute liberté. 
  • Delta Blues Museum (1 Blues Alley) : À sa création, en 1979, ce musée n’était « qu’une petite pièce avec quelques disques et photos », selon Gérard Herzhaft. Aujourd’hui, c’est « un bâtiment confortable et ses collections se sont enrichies de dons de B.B King ou Gary Moore ».  
  • Ground Zero Blues Club (387 Delta Avenue) : Fondé en 2001 à l’initiative (entre autres) de l'acteur Morgan Freeman, ce club permet aux visiteurs d'écouter artistes locaux et vedettes mondiales du blues.  
  • Riverside Hotel (615 Sunflower Avenue) : Muddy Waters, Duke Ellington, Howlin’ Wolf... De nombreux artistes ont séjourné dans cet hôtel mythique, actuellement en travaux.